Aujourd’hui, 800 milliards de vêtements sont achetés par an, soit 400% de plus que dans les années 1980 [1]. Qu’est-ce que notre mode de consommation nous dit de la société ? Comment expliquer qu’aujourd’hui certains de nos vêtements « valent moins qu’un sandwich » [2] ? Consommer durable ne serait-ce pas finalement nous recentrer sur les mêmes valeurs que nos grands-parents à savoir la qualité, la durabilité ? Chez Valet de pique, nous essayons de revaloriser une manière d’acheter presque oubliée.
« LA MODE N’A PLUS RIEN À DIRE »
« Comment un produit qui passe par tant de transformations; être semé, pousser, être récolté, peigné, tourné, tricoté, coupé et cousu, terminé, labellisé, enveloppé et transporté peut-il coûter à peine quelques euros ? »[3] s’interroge l’analyste Lidewij Edelkoort dans son manifeste Anti-fashion qui fait l’effet d’un tsunami dans le monde de la mode à sa sortie en 2015. L’évidence est là : « la mode n’a plus rien à dire ». Elle semble avoir été dénaturée par l’exigence de productivité, la recherche de croissance, l’injonction du toujours plus : « aux jeunes consommateurs, on enseigne que la mode est jetable, qu’un vêtement s’abandonne comme un préservatif avant même de l’aimer, de l’apprécier, de s’y attacher » déplore Lidewij Edelkoort.
TOUT ET TOUJOURS PLUS
Ainsi, les marques produisent des vêtements à la chaine, allant jusqu’à proposer 52 collections par an. Où sont passées les 4 collections saisonnières annuelles? Ce renouvellement quasi permanent destiné à pousser plus loin les désirs de consommation dans une « société du spectacle » [4], a des conséquences catastrophiques sur l’environnement. La mode se hisse à la seconde place du classement des industries les plus polluantes en 2019. Tout l’enjeu de la « FastFashion » ( les enseignes H&M, ZARA ect. ) est de proposer des prix toujours plus attractifs selon le principe d’économie d’échelle : plus on produit, moins le produit est cher. Au détriment de la qualité, des conditions de travail et de l’environnement.
VERS LA SLOW FASHION ?
Si notre manière de consommer est directement liée à l’instantanéité et à la vitesse de notre société actuelle, une prise de conscience a été amorcée depuis quelques années. En effet, la Slow Fashion, le fait de consommer moins et mieux, gagne du terrain. Une autre manière de nommer cette tendance est la « déconsommation ». Selon une récente étude de l’IFM (Institut Français de la Mode), 44% des personnes interrogées déclarent avoir acheté moins de vêtements au cours de l’année 2018 que lors des années précédentes. Bien que pour 60% d’entre eux cette déconsommation soit contrainte (hausse des prix et arbitrage budgétaire), les 40% restant le font consciemment et par choix. Parmi les raisons évoquées, il y a le souci de « consommer moins mais mieux par souci écologique et éthique » [5]. Une prise de conscience apparait en effet urgente et la vérité doit être levée sur les conditions réelles de la fabrication d’une grande partie des vêtements commercialisés.
ÉCOUTONS NOS GRANDS-PARENTS
Cependant, la déconsommation, le Slow Fashion, ne serait-ce pas tout simplement revenir aux valeurs qui étaient les nôtres il n’y a pas si longtemps ? Par curiosité, nous avons demandé à nos grands-parents la manière dont ils achètent leurs vêtements. Car oui, ils ne parlent pas de « consommer ».
Très importants pour nos anciens et particulièrement pour nos grands-mères : la coupe, le prix, la qualité. « Ce que je l’achète, je l’achète bien », témoigne Colette. P, 88 ans. « Je n’achète pas pour que cela dure qu’une seule saison ! » nous prévient à son tour Odette. G, 99 ans, grande amatrice de mode qui a vu défiler un siècle de tendance : « un bon tailleur, un bon manteau, ça fait 5 ans ». Faits marquants également, même sans conscience écologique nos grands-parents semblent avoir systématiquement le réflexe de regarder la composition du vêtement et son lieu de fabrication : « je regarde pour l’entretien du vêtement, car je ne peux plus aller chez le teinturier aussi souvent qu’avant » nous raconte Colette. Oui, un vêtement, on en prenait soin. Et quand on demande à Odette quel est, selon elle, le prix d’un tee-shirt de qualité, elle nous répond « qu’est ce qu’on appelle un tee-shirt maintenant ? ». Il semblerait qu’en plus de l’essentiel, nous ayons aussi perdu notre vocabulaire. Quoi qu’il en soit pour Colette comme pour Odette, un « bon » tee-shirt c’est en moyenne 50€ et non le prix d’un sandwich.
Plus qu’une tendance, le « consommer durable » est vécu de manière assez naturelle chez les seniors : « parallèlement aux évolutions générationnelles, les seniors témoignent à bien des égards de comportements ayant préexisté à la « société de consommation », consommation de masse dans laquelle ont baigné les générations plus jeunes » [6]. Il y a dans leurs habitudes de consommation une « recherche de choses qui durent, solides, sur lesquelles on peut compter » [7]. Alors que nous apprenons à nos grands-parents à prendre des photos ou écrire un texto, il semblerait qu’eux aussi aient encore beaucoup à nous apprendre.
- Claire Doisy
Bibliographie :
Debord Guy. La société du spectacle. Gallimard. 1996.
Lelièvre Marie-Dominique. Li Edelkoort : « La mode n’a plus rien à dire ». Libération. 08/05/2015.
Mathe Thierry, Hebel Martyne, Perrot Delphine, Robineau Delphine. Comment les seniors consomment ? Cahier de recherche. Décembre 2012.
Morgan Andrew. The True Cost. Date de sortie : mai 2015.
[1] Morgan Andrew. The True Cost. Date de sortie : mai 2015.
[2] Lelièvre Marie-Dominique. Li Edelkoort : « La mode n’a plus rien à dire ». Libération. 08/05/2015.
[3] Ibid.
[4] Debord Guy. La société du spectacle. Gallimard. 1996.
[5] Menon Tiphaine. Slow Fashion : l’éloge de la lenteur. Paris Match. 10/09/2019.
[6] Mathe Thierry, Hebel Martyne, Perrot Delphine, Robineau Delphine. Comment les seniors consomment ? Cahier de recherche. Décembre 2012.
[7] Ibid